Lire voire

Lire, c'est oublier ce qu'on lit. Au fure et à mesure que l'on s'immisce dans l'épaisse forêt des phrases, les mots se referment derrière nous. On est dans un livre comme dans une forêt tropicale. Des fois, c'est même, tout pareil sombre et poisseux. On se perd et se retrouve. Mais on ne retient rien. Jamais.

Vous avez sans doute connu des perroquets qui ressassaient des poésies ou des proses par coeur. Même ces gens là ne connaissent pas le texte, ils l'interprètent. Comme une chanson ou bien le coran.

Ce sont des singes qui exhibent leur savoir faire. Platon les aurait traîtés de sophistes. Pas sofistiqués, sans doute.

Lire c'est donc oublier. Le début de ce texte, vous vous en rappelez ? Et quand bien même. Qu'importe. Vous rappelez vous les derniers écrits que vous avez survolé ? Non, je me doute bien.

Nous sommes des promeneurs graciles de forêt, de ville, d'existence.

Donc, par exemple, quand je suis dans un roman, ce qui est avant n'est plus....et plus rien même. C'est un voyage. Je ne saurais même pas le lire à l'envers, ce bouquin.

Ce qui compte, c'est l'exploration. Là, on tient une piste, c'est le cas de le dire. Alzheimer nous guette-t-il ?

Et d'ailleurs, cet étrange parallélépipède que je tiens entre les mains, c'est quoi ? Je l'ai entre les mains, c'est tout. Un objet. Je ne peux ouvrir de manière synoptique toutes ses pages en même temps.

Un moment eut lieu la guerre de la lecture. De sa vitesse de. Le meilleur lecteur étant celui qui aurait lu le plus vite un texte. Préalable dogmatique étant que de l'instant A à l'instant B l'espace le plus court enrichissait la maîtrise globale, donc la compréhension.

Ce n'est pas lire. C'est vouloir comprendre. Et ce n'est pas grand chose, ça.

Lire, je vous le redis, c'est oublier, comme on oublie chaque instant de nos vies.

Nos richesses de lecteurs consistent à accepter la mort, en fait : savoir se dé-prendre de soi. Voyage avec Ulysse.